L'élève et le maître

Droite, fière et résolue, l'Elfe se tenait prête, une épée fermement agrippée à la main. Un éclat de lumière glissa sur la lame scintillante et illumina un instant son visage déterminé et son regard farouche.

L'Elfe assise en face d'elle secoua la tête, d'un air dubitatif.

« Je ne doute absolument pas qu'avec cet air-là tu puisses impressionner même les plus braves de tes amis Semi-Hommes, Aeriell, remarqua-t-elle d'une voix calme et posée. Cependant, il était convenu que je te demandais de te concentrer sur un bataillon de combattants du Seigneur Ténébreux... et pas sur une armée de Hobbits... »

La jeune Elfe abaissa son épée, l'air vexé.

« Mais quoi ? Je ne peux pas faire plus menaçant, ça n'est pas de ma faute si je n'ai pas la carrure d'un guerrier enragé ! »

Son interlocutrice afficha un petit sourire, rangea les documents qu'elle était en train de consulter dans une large besace et se leva élégamment.

« Ai-je vraiment l'air d'un guerrier enragé ? »

Elle ferma doucement les yeux un instant. Aerelloth l'observa et se dit qu'elle paraissait déjà bien plus impressionnante qu'elle, même sans rien faire. Sa silhouette élancée sans doute, ou la majesté qui semblait émaner de ses traits. Quoique, les yeux fermés, ça se remarquait un peu moins. Enfin... Un vent léger parut se lever dans la vallée, et caresser l'Elfe aux paupières closes. Puis ce ne fut plus une impression : le souffle s'intensifia et commença à faire danser la robe claire de l'Elfe et ses cheveux d'or. Elle éleva lentement ses bras fins et la bourrasque virevolta de plus en plus vite autour d'elle, faisant onduler la végétation autour d'elle. Elle ouvrit les yeux, imperturbable au milieu de ce tourbillon, et ses pupilles semblaient briller d'une intense flamme d'émeraude.

Impressionnée, Aerelloth recula d'un pas, faisant naître un petit sourire satisfait sur les lèvres de l'Elfe. L'éclat brûlant de ses yeux s'apaisa et la tempête se changea en une douce brise qui se dissipa dans les branches.

« Moi, je n'ai pas besoin d'épée. »

Aerelloth soupira, découragée.

« Je suis certaine que tu peux faire mieux que ça, Fleur du Lindon. Tu es arrivée jusqu'à Imladris toute seule, remémore-toi bien cela... Assurément, rien que cela est encourageant.

- Oui... Mais c'était pour parler au Seigneur Elrond d'une décision à prendre et dont il n'est même pas au courant !

- Ne sois donc pas si impatiente. "Une décision capitale sera prise à Imladris, Aerelloth, dans la maison d'Elrond le Semi-Elfe. Bientôt... le monde en sera changé. En bien ou en mal... cela je ne peux le dire." » Elle s'interrompit un instant et regarda Aerelloth dans les yeux. « Ce sont les paroles du Seigneur Círdan qui t'ont poussée à partir pour Imladris, n'est-ce pas. Tu aperçois d'ici la maison d'Elrond Peredhel... Tout ce qu'il te manque, c'est un peu de patience. Tu n'as pas l'air de réaliser, à ton âge, ce que "bientôt" peut signifier pour un Elfe qui a admiré le reflet des étoiles sur les eaux du lac de Cuiviénen...

- Quand même... Ça m'étonne que vous me croyiez vraiment capable de progresser si vite, dame Mallaur, vous qui n'arrêtez pas de me traiter comme une... gamine... »

Aerelloth prononça le dernier mot à mi-voix et le regretta aussitôt.

Le feu d'émeraude sembla s'embraser à nouveau. « Après tout tu as peut-être raison... Peut-être bien que j'ai commis une erreur. Peut-être que tu n'as aucun talent. Peut-être que la seule raison qui t'a poussée à parcourir toute cette route est d'ennuyer un sage avec tes cauchemars parce que tes parents en ont assez que tu les réveilles la nuit. »

Les joues d'Aerelloth s'empourprèrent à mesure que Mallaur énumérait ses reproches sur un ton parfaitement calme. Elle voulait répliquer, trouver quelque chose à dire même si elle savait qu'essayer d'argumenter face à elle était perdu d'avance. Mais l'Elfe continuait, imperturbable.

« Peut-être que tu me fais perdre mon temps, qui serait bien mieux employé à consulter quelque ouvrage de la bibliothèque d'Elrond où je pourrais au moins trouver une once de bon sens. Peut-être qu'Elrond, lui aussi, aurait mieux à faire qu'écouter une gamine qui se croit intéressante simplement parce qu'elle vient d'une région qu'elle imagine lointaine et exotique. Peut-être que tes parents te seraient reconnaissants de rentrer sagement à la maison pour leur rendre la carte que tu as empruntée sans leur permission... »

Des larmes montaient dans les yeux d'Aerelloth, mais une rage à l'encontre de cette Elfe toujours aussi calme commençait à l'envahir. C'est la colère qui prit le pas sur toutes ces émotions. Elle serrait la garde de son épée avec violence ; ses yeux baissés révélaient la fureur qui montait en elle. Mais elle ne disait toujours rien.

« D'ailleurs, peut-être que tu devrais préparer tes affaires en vitesse au Lindon, parce que tes parents doivent s'inquiéter pour leur petite fille chérie. Peut-être que cela te fera du bien de respirer l'air de la mer, et peut-être que tu ferais mieux de revenir dans un siècle ou deux, lorsque tu auras un peu grandi, ou pas du tout. »

« NON ! » Le cri que la jeune Elfe avait poussé ne ressemblait en rien à la voix peu assurée qu'elle possédait d'habitude. La rage qui l'animait enflammait tout son corps et ses yeux lançaient des éclairs, illuminant d'un feu nouveau son visage féroce. Elle fixait à présent Mallaur avec défi, et affrontait son regard vert lumineux de ses yeux d'un bleu orageux.

Toujours immobile, Mallaur observait Aerelloth sans ciller. Puis elle lui adressa un petit sourire que la jeune Elfe ne comprit pas tout de suite : « Ou peut-être pas. » Ne saisissant pas ce que Mallaur voulait dire, elle suivit le regard entendu de l'Elfe vers la lame de son épée. Aerelloth lâcha son arme de surprise et la flamme qui l'entourait disparut avec un petit crépitement.

Mallaur regarda Aerelloth avec douceur et reprit calmement : « J'espère que tu as compris que tout cela avait uniquement pour but de révéler tes capacités. Ne sous-estime jamais le pouvoir des mots... Tu es jeune et je ne peux rien y faire, cependant cela ne t'empêche pas de faire preuve d'un courage et d'une détermination qui ne caractérisent pas tous les Elfes avec le temps. Et cela, je l'ai su dès que tu m'as parlé de tes noires visions... Cependant j'ai l'espoir que ton talent se perfectionne avec le temps, mais également avec la persévérance. »

Aerelloth n'avait pas dit mot et semblait quelque peu sonnée par ce qu'elle venait de faire, ou alors par ce qu'elle venait d'entendre.

« Tout va bien ? » Elle prit l'Elfe par le bras et la fit s'asseoir.

« Je... je crois que j'ai un peu la tête qui tourne... »

Mallaur fouilla dans sa sacoche et en extrait une petite fiole aux reflets dorés. Elle s'assit à côté d'Aerelloth et lui tendit la fiole.

« Tiens. Je crois que ça te ferait du bien de boire ça.

- ... C'est quoi ? demanda Aerelloth d'un air méfiant.

- Un cordial d'Imladris... Une petite gorgée de miruvor devrait te remettre d'aplomb. »

Elle ferma les yeux un instant tandis qu'Aerelloth hésitait à boire le contenu de la fiole. Lorsqu'elle crut voir des étincelles vertes voler devant ses yeux, elle se décida à en avaler une gorgée avec appréhension.

« C'est bon, en fait...

- Tu ne me fais toujours pas confiance », observa Mallaur avec un air amusé. Elle sourit en constatant que le visage de la jeune Elfe reprenait des couleurs.

« J'ai l'impression que ça va déjà mieux ! Mais... ces flammes, tout à l'heure...

- On dirait que tu sous-estimes tes capacités. Maintenant que tu découvres ce dont tu es capable, tu progresseras d'autant plus vite. »

Mallaur observait la Soleil qui disparaissait à l'horizon, songeuse.

« Cela pourrait d'ailleurs bien être pour cela que les Valar t'ont conduite jusqu'à Imladris... »