Réminiscences

Telle une voix claire qui perce le silence... Une prière muette s’élève dans l’obscurité. Les branchages frémissent, la nuit s’assombrit, des pas se rapprochent.

L'ombre se tapit parmi les ombres, recule et retient son souffle. Elle ferme les yeux et attend. Son cœur tressaute dans sa poitrine, elle n’attend plus qu’un signal, un geste.

La fillette s’approche d’un pas décidé et s’incline avec une élégance acquise à force d’habitude.

«  Mère. Je souhaiterais vous parler, s’il vous plaît. »

La femme assise en face d'elle lève doucement les yeux vers elle et lui sourit.

« Si cela concerne ce projet de partir à l’aventure avec ton père, je ne vois pas ce qu’il y a à ajouter. »

La demoiselle croise les bras et affiche une moue boudeuse. Sa mère ne réagit pas et ajoute calmement : « Tu sais pertinemment ce que j’en pense : si tu es venue pour tenter de me convaincre que ce serait profitable à ton éducation, tu peux considérer cela perdu d’avance. »

Sa fille baisse les yeux. « Tout ça parce que je suis une Elfe... Ça n’est pas juste. Je ne vois pas pourquoi je serais obligée de réciter des poèmes plutôt que d’apprendre à chasser !... » Elle jeta un regard vexé à sa mère silencieuse, qui ne se donnait même pas la peine de la contredire. « En plus, je n’ai même pas dit que c’est ce dont je voulais parler. Papa, lui, me laisserait au moins placer un mot avant de m’interrompre... », ajoute-t-elle à demi-voix, s’attendant à le regretter dans les secondes à venir.

Sa mère se lève d’un coup et la fixe sans ciller. Ses yeux qui brillent de cet éclat vert qu’elle ne connaît que trop bien : instinctivement, elle fait un pas en arrière.

« Je serais en droit d’attendre un peu plus de respect de ta part, jeune fille ! Et cesse d’appeler ton père de cette façon, c’est tout à fait ridicule. Il est grand temps que je lui reparle de ton éducation... Bien, alors j’imagine que tu comptes me faire croire que tu avais autre chose en tête, alors que cela fait des mois que tu t’obstines ? »

La petite Elfe tente de répliquer mais elle ne la laisse pas répondre.

« Comme tu l’as si bien dit, ta place est ici, avec les filles de ton âge. À réciter des poèmes puisque cela te plaît tant, à apprendre les récits de l’Ouest et à enfin te comporter comme une Elfe bien née le devrait. Tu es de toute façon beaucoup trop jeune pour que je songe à faire une exception et à te laisser partir avec ton père... d’ailleurs ta réaction puérile parle d’elle-même. »

Elle se rassoit comme si de rien n’était et observe sa fille qui la fixe avec un air de défi. Avec un petit sourire, elle ajoute :

« Bien, maintenant que tu t’apprêtes à retourner le déranger pour pleurnicher une fois de plus pendant qu’il s’entraîne, transmets-lui mes salutations ! »

Sa mère sourit, amusée, tandis que la jeune Elfe s’éloigne, le regard noir.

Une silhouette fend les fourrés et descend vers la clairière d’un pas assuré. Elle s’approche d’une zone dégagée, hormis quelques taillis. Elle s’approche d’un bosquet en particulier, attirée sans doute par un signe qu’elle est semble être la seule à remarquer. Son ombre se découpe déjà sur l’herbe verte et progresse vers le buisson qu’elle a repéré, sans bruit.

La petite Elfe farfouille dans un coffre lorsque sa mère la rejoint, les bras chargés de parchemins. Son regard se fait interrogateur.

« Tiens ? Tu n’es pas partie voir ton père finalement... Qu’est-ce que tu peux bien chercher là-dedans ?

- Je me demandais si... Enfin, je ne retrouve pas ma harpe.

- Elle est là, juste au fond, regarde. » Elle sourit. « Cela me fait plaisir de constater que tu penses enfin à reprendre des distractions plus convenables ! » Sa fille fronce les sourcils : « Ah... Oui, pour la harpe ! » Elle adresse à sa mère un grand sourire. « Je vous remercie, mère », dit-elle en s'inclinant.

Dès que sa mère s’éloigne après avoir déposé ses parchemins, elle attrape sa harpe, tire sur la dernière corde pour voir jusqu’où elle peut s’étirer, et la fourre d’un air satisfait dans un petit sac en toile d’où dépassent quelques bâtonnets à plumes.

L’Elfe s’est arrêté. Il lui avait bien semblé avoir senti une présence, quelque part dans les buissons. Il secoue la tête avec un petit sourire, avant d’appeler : « Alors, on s’est perdue ? »

Du fourré à quelques pieds de là jaillit la jeune Elfe qui se jette dans ses bras en sanglotant. « Papaaa ! » Il la serre contre lui puis sourit en remarquant le sac qu’elle porte dans le dos tel un carquois improvisé : « La chasse a été bonne ? » Mais il ne distingue que quelques syllabes dans sa voix entrecoupée de pleurs. « Calme toi, tout va bien maintenant, je t’ai retrouvée... » Il essuie ses larmes, sa fille lui renvoie un pâle sourire.

« Oui... mais... qu’est-ce que je vais dire à...

- Ne t’en fais pas... C’est un ami qui m’a dit qu’il t’a vue passer, je suis venu te chercher aussitôt, et ta mère n’est pas au courant. Je lui dirai... que c’est moi qui t’ai emmenée visiter la forêt, pour finir. Ça ne lui plaira peut-être pas, mais ça sera toujours mieux ! Allez, viens. Autant que tu profites un peu de la promenade ! On dirait que tu es arrivée près d’une de ces plateformes d’où on peut voir tout le paysage aux alentours, je suis sûr que ça va te plaire. »

Il prend la main de sa fille dans la sienne, puis ils s’éloignent ensemble. Dans l’autre main, elle tient toujours fièrement son arc improvisé.